Je change. Intérieurement je change, je le sens. Je n'ai plus besoin des autres, plus besoin de leur acceptation. Je me suis digérée je crois. Je n'ai plus besoin que, face à moi, l'on me prémâche. J'ai enfin accepté cette part de solitude, ce huis clos de moi à moi.
Il est tôt, à peine 22 heures, je vais me coucher. Dans la chambre, personne. Sous les draps, que moi. Je mets un disque, c'est Gras, allume quelques bougies - celles que j'aime, mélange de camelle et d'écorce d'oranger. Dehors le vent hurle et fait claquer les volets...
Suis je bien? Oui.
Suis je seule ? Oui.
Deux réponses, deux affirmations que je pensais antonymes. Je suis bien et seule. Parfois le bonheur est une sentence terrible..
La chambre est un vrai nid, le lit douillet, ma peau douce...et je jouis de tout cela, seule. Égoïste. Satisfaite. Heureuse...Gênée.
Oui, gênée, car soudain vient la question sans appel : et si cela durait toute la vie?... si cette sérénité nouvelle était l'harmonie que j'ai toujours recherchée?... si j'étais prise au piège de ma propre félicité?... si le bonheur n'était accordable qu'à mon seul "je"?...si la solitude devenait joyeuse et bienveillante?...si l'Autre n'était plus nécessaire?...
Si tout cela était bien vrai?...Je serais heureuse alors, mais triste de l'être.
Il faut que je me relève, que j'aille voir, vérifier..Prendre mon téléphone, mon carnet d'adresses, reprendre mes correspondances...chercher l'autre, le réveiller en moi... Venir ici, casser le cercle que je sens parfait.
Si l'Autre n'est plus la cheville à laquelle je m'articule, s'il n'y a plus que moi... est ce possible?C'est pour lui, contre lui, que petit à petit je me suis construite. Pour l'aimer, en être aimée, le narguer, le défier... Avec, jamais sans....
Et voilà que sans, soudain, ce soir, je me sens mienne. Je me sens bien. Et que je me fais peur.
Il faut que je vous parle. A vous. Mon Autre...
Je vous donne, je reprends aussitôt. Je vous doute. J'emmêle les fils. Ce qui me parait simple un instant, se casse la figure l'heure d'après, mes théorèmes prennent l'eau un à un. Je vous crois, je ne vous crois pas…Je me crois et ne m'entends pas…
Est ce que je vous invente, ou est ce que vous etes?...Est ce moi qui vous prend? Est-ce qu'on joue à être? Est-ce qu'il y a à croire? Est-ce que vous saurez me retenir? Est-ce que je saurai vous tenir aussi? Est-ce que votre main me manque? Est ce que je complique à tort? Ces questions sont elles encore des fuites? Est-ce qu'il est trop tard? Est-ce que vous en souriez? Est-ce que tout ceci est prévisible? Est-ce que vous pensez a tout cela?...
Illustration JF Lefranc série "nouveaux essais"
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