L'Instant...
Je ne sais plus à quelle pliure de coude je dus mon illumination. A quel degré d'inclinaison de tête ou d'angle de vue. Seule chose certaine: il y eut une seconde d'ineffable perfection, un instant parfait.
Les peintres, sans doute, goûtent ils à cette sérénité sublime, celle qui vient, calme, après l'acharnement heureux, quand le trait qu'ils cherchaient à enfin accouché.
Cette seconde où, le bras encore armé, les muscles encore bandés dans leur effort volontaire, la rétine capte bien avant l'intelligence la ligne d'arrivée.
Être arrivé! Ce n'est ni une question de lieu ni une question de temps, peu importe si le « bon » trait apparaît sur ce tableau ou sur un autre, s'il arrive à bout d'espoir ou à crête de reconnaissance.
Ce trait, l'instant de prescience même de ce trait, est indépendant. A l'heure de son éclosion il se désolidarise de l'histoire même qui l'a crée. Comme un nouveau né anthropophage capable d'avaler son géniteur et le placenta qui l'entoure au premier cri, il se condense, faisant le vide autour de lui. Il n'est pas défini par ce qui le précède, ce qui l'a engendré, mais par sa manifestation physique même.
Le peintre n'a plus alors qu'a reposer son pinceau, s'asseoir et, mi émerveillé mi effrayé, contempler l'oeuvre qu'il a voulu sienne, qui est l'exacte représentation de sa volonté et qui pourtant désormais se détache de lui, inhumaine, plus étrangère que jamais.

.
.
Et j'en pleurerais...
.
Illustration de Roman Zaslonov "Endormie"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire