mercredi 15 octobre 2008

L'Instant...

Je ne sais plus à quelle pliure de coude je dus mon illumination. A quel degré d'inclinaison de tête ou d'angle de vue. Seule chose certaine: il y eut une seconde d'ineffable perfection, un instant parfait.

Les peintres, sans doute, goûtent ils à cette sérénité sublime, celle qui vient, calme, après l'acharnement heureux, quand le trait qu'ils cherchaient à enfin accouché.
Cette seconde où, le bras encore armé, les muscles encore bandés dans leur effort volontaire, la rétine capte bien avant l'intelligence la ligne d'arrivée.

Être arrivé! Ce n'est ni une question de lieu ni une question de temps, peu importe si le « bon » trait apparaît sur ce tableau ou sur un autre, s'il arrive à bout d'espoir ou à crête de reconnaissance.

Ce trait, l'instant de prescience même de ce trait, est indépendant. A l'heure de son éclosion il se désolidarise de l'histoire même qui l'a crée. Comme un nouveau né anthropophage capable d'avaler son géniteur et le placenta qui l'entoure au premier cri, il se condense, faisant le vide autour de lui. Il n'est pas défini par ce qui le précède, ce qui l'a engendré, mais par sa manifestation physique même.

Le peintre n'a plus alors qu'a reposer son pinceau, s'asseoir et, mi émerveillé mi effrayé, contempler l'oeuvre qu'il a voulu sienne, qui est l'exacte représentation de sa volonté et qui pourtant désormais se détache de lui, inhumaine, plus étrangère que jamais.

Comme le corsage de Marie Agnes à cette minute, dans cette demie pénombre, ce demi renversé, me renvoit à une solitude et impuissance éblouie. C'est moi, oui, qui ai dégagé la mèche de son front, entrouvert sa bouche, incliné son cou sur l'oreiller. C'est moi encore qui l'ai couchée sur ce draps couleur prune qui épouse si bien les contours de sa chaire veloutée. Ses cuisses entrouvertes, sa jupe de laine relevée sur sa jambe légèrement repliée.. Et l'ombre duveteuse et froide encore de son sexe entrebâillé. Tout cela n'est que le fruit d'une volonté, la mienne. La résultante de mes actes, de mes choix, de mes gestes sur et pour ce corps inerte, ce corps d'endormie qui accepte tout faute de ne plus rien savoir.

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Et j'en pleurerais...
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Illustration de Roman Zaslonov "Endormie"

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